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Nourrir les rêves pour prévenir les crimes: Victor Dermo raconte le retour de Diamond Little Boy

Trois ans après un premier portrait dans nos pages, Victor Dermo revient accompagné de son révolté Diamond Little Boy, un manga d’une grande puissance, sensible et rythmé. Dans le tome 1 de sa saga, il explore les errances adolescentes, la délinquance ordinaire et le poids du déterminisme social, sans jamais devenir moralisateur. Porté par une énergie hip-hop assumée, ce récit s’interroge autant sur la place qu’on refuse aux marginalisés, que sur la nécessité pour eux de la conquérir, qu’importe le prix. Entre rêves, premières passions et pulsions de révolte, Diamond Little Boy est une œuvre aussi sombre que lumineuse, aussi douce que violente. 

À l’occasion de cette sortie, on a repris la discussion (presque) là où on l’avait laissée. Une conversation, sincère, sur ce que raconter veut dire. Et sur tout ce qu’il reste à dire.

Sonia : Hello Victor ! La dernière fois que tu es apparu dans le 33 Carats Magazine, même si tu avais bien avancé sur le projet DLB, presque tout restait encore à faire…

Victor : J’avoue que quand je prends le temps d’y réfléchir, tout s’est enchaîné, depuis ! Ça n’a pas été facile, mais c’était hyper excitant quand même. Il a fallu enchaîner les réunions avec mon manager, les partenaires ou même ma maison d’édition. Et j’ai multiplié les aller-retours entre le Japon et la France, pour travailler sur le fond du manga avec des professionnels du milieu, notamment  mon tantô (Un tantô, c’est à la fois un manager, un agent, un éditeur… Ces mecs peuvent tout faire. Ce sont des travailleurs de l’ombre qui peuvent propulser des mangas à des niveaux stratosphériques, NDLR)…

Et avec lui tu es revenu sur ton œuvre pour la perfectionner ?

V : Carrément, avec lui, mon manager et d’autres membres de mon équipe. J’avoue qu’au niveau des dialogues ou de l’intrigue, j’ai toujours refusé les modifications proposées, j’avais une idée claire de ce que je voulais et je ne comptais pas en bouger. Par contre, c’est sur le dessin que j’ai dû retravailler, encore et encore. Autant sur les détails que sur les normes à respecter, le monde du manga est hyper réglementé, c’est tout un fonctionnement à intégrer. Pour le positionnement des dialogues, des cases ou juste la mise en page, tu vois ? Et bien sûr, tout ça a un impact sur la narration, le déroulement de l’intrigue. Il y a des moments de l’histoire sur lesquels je voulais vraiment appuyer, mais mon tantô m’a poussé à les suggérer, à rester dans la subtilité. J’ai beaucoup appris et j’ai encore beaucoup à découvrir : le manga est un art difficile à conquérir. Pour dire vrai, c’est passionnant. Éreintant mais passionnant !

Aujourd’hui, le premier tome de Diamond Little Boy est enfin sorti et te voilà à enchaîner les séances de dédicaces; les interviews; les collaborations, notamment avec la marque Schott … Le chemin parcouru force l’admiration !

V : T’es toujours dans l’abus, toi, hein (rires) ? Mais c’est vrai que depuis la sortie du premier tome avec les éditions Vega, tout s’est enchaîné. Je crois que c’est une des périodes les plus cools de toute ma vie. Les voyages, les événements… tout ça c’est fou. Mais je crois que ce qui me touche le plus, ce sont les rencontres. On me parle souvent des événements un peu connotés luxe ou people, mais pour le moment, je crois que j’ai pas kiffé autant qu’en conférence ou en atelier en prison. Les échanges qui ont lieu là-bas poussent à la fulgurance. Les séances de dédicaces, aussi, sont des moments forts. J’ai croisé des gamins qui avaient poireauté pour faire dédicacer leur exemplaire et me dire que c’est avec DLB qu’ils s’étaient mis à la lecture ! Je voulais vraiment toucher les gens avec mon œuvre, mais je pense pas que j’ai déjà envisagé ou espéré qu’un gosse me dirait ça, un jour.

Il faut dire que Diamond Little Boy s’exprime dans un langage universel, celui de l’adolescence. Il parle à tout le monde avec la même intensité, au fond.

V : Ça me fait plaisir que tu dises, ça, j’ai vraiment essayé de rendre ce manga et les sujets abordés les plus accessibles possible. Le héros s’appelle Victor, comme moi. Il a mes inspirations, mes sentiments, mes émotions. Mais il n’est pas que moi. Il est aussi tous les adolescents, tous les gamins de cité qui doivent défoncer à coups de pieds les portes qu’on leur ferme à la gueule. Ceux qui veulent saisir le monde pour mieux s’en affranchir. J’aime bien dire que ce manga a été fait par nous, pour nous. Et je le pense sincèrement, j’espère que ça se ressent. Victor a des rêves, comme tous les gosses. Mais il est aussi le produit de son environnement, violent. Il y a beaucoup d’ombre mais aussi énormément de lumière, en lui. Il est le bourreau, mais aussi la victime. Ce que j’espère, c’est que chacun puisse s’identifier à lui, entrer en empathie totale avec lui… même quand il commettra l’irréparable, l’impardonnable. 

Tu m’as parlé de rêves, il y a quelques instants, ça me fait penser à une citation qui apparaît dans le premier tome, celle de Victor Hugo…

V : … “ C’est en nourrissant les rêves que l’on prévient les crimes”, j’adore cette citation ! Et de toute façon, de manière générale, je suis assez matrixé par Victor Hugo, son univers, sa plume. Il avait une manière de décrire les mouvements du cœur, les tourments de l’esprit, qui bouleverse ! Au départ, je voulais mettre la citation en évidence, je voulais qu’elle rayonne, mais c’est mon manager Hugo, qui m’a donné l’idée de l’intégrer dans le décor, dans une case, subtilement. Un graff’, sur un mur, auquel le personnage ne prête même pas attention quand il passe devant… L’idée m’a plu direct !

Hé ! Victor et Hugo !

V : Héhé, t’as capté (rires) ! Je ne me voyais pas prendre un autre auteur, pour la référence, c’était une évidence, en fait.

Il y avait une autre de ses citations que tu aurais aimé intégrer au premier tome de Diamond Little Boy ?

V : J’en avais beaucoup sur ma liste des possibilités, mais je crois que que celle qui me touchait le plus, c’était la citation qu’on retrouve au tout début du livre Les Misérables : “Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.”.

Ah ouais… Ca fait un très long graffiti, quand même…

Faut un graaaand mur, en vrai (rires) ! C’est sans aucun doute ma citation préférée de Victor Hugo, elle est trop puissante. Mais t’as capté la raison pour laquelle je ne pouvais pas l’utiliser…

Ce que je capte, avant tout, c’est la manière dont tu te saisis du sujet du déterminisme social à travers tes références et à travers les thèmes que tu abordes dans ce premier tome : les failles du système scolaire ou même les violences policières…

V : Le terme n’est jamais explicitement mentionné dans le manga, mais ce sujet irrigue tout le récit. Il traverse les dialogues et possède les personnages, même. Je voulais parler de ces limites qu’on assigne à certains jeunes, comme si leur trajectoire était déjà tracée par quelqu’un d’autre. Mais je tenais à le faire en croisant deux points de vue. D’un côté, il y a ceux qui imposent ces restrictions arbitraires : des adultes en position d’autorité qui soumettent de force l’idée que certains rêves ne sont pas faits pour tout le monde. Et de l’autre, il y a ceux qui les subissent, au point d’en faire une vérité intérieure. Ces gosses à qui on répète qu’ils doivent se contenter des miettes qu’on leur jette, et pour qui ces barrières finissent par devenir des repères. A qui on laisse deux choix,  pas plus: le crime ou la servitude. C’est ce double regard-là que je voulais faire entendre : celui de l’ordre établi, et celui de la résignation qui naît quand on t’a convaincu que tu n’as pas ta place là où tes ambitions te portent. C’est ce que j’ai vécu, donc c’est ce que je raconte, c’est tout.

Tant qu’on aborde ce sujet, j’ai vu passer un tweet qui m’a vraiment fait penser à Diamond Little Boy et plus précisément au personnage de Victor, à son vécu : 

V : Hé mais c’est vrai, je n’y avais jamais pensé ! Naruto, c’est le fils du plus grand hokage…

Mais oui, je te jure que ce tweet m’a ouvert les yeux (rires) ! Luffy qui est le fils de Dragon ou même Gon, qui n’est rien d’autre que le fils de Jin… Que des nepo babies !

V : Ah merde, c’est vrai que ça s’applique à beaucoup de ces héros de shōnen… Que des rejetons de mecs hyper puissants, en fait (rires) ! En y réfléchissant, on peut dire ça de pas mal de héros de la culture populaire, genre Harry Potter ! Ils grandissent dans la douleur, le deuil, le rejet et la solitude. Mais ils sont tous voués à un destin extraordinaire. Leur affiliation leur confère, de manière complètement innée, de grands pouvoirs et un avenir hors du commun. Mais pour revenir sur les mangas, autant c’est un modèle qu’on retrouve dans pas mal de shōnen, mais beaucoup moins dans le furyô, un genre de manga centré sur la délinquance juvénile. Dans ce style, je dirais que les plus connus restent Great Teacher Onizuka, à l’ancienne et Tokyo Revengers, pour faire plus moderne. 

On est en plein dans le domaine de Diamond Little Boy, alors ?

V : Oui, je pense que c’est vraiment ce dans quoi je verse. Même si on le voit tout d’abord combattre cette idée, Victor finit par céder au crime. Il bicrave, il vole, il tabasse… mais il a des rêves, aussi. C’est juste un gosse, après tout. Il a été poussé dans la mauvaise direction et il s’y est perdu. Tu vois, quand on parlait tout à l’heure des héros de shônen, tous voués à accomplir de grandes choses ? En vrai, c’est pas du tout mon truc, cette idée de destin. Elle me semble injuste : certains seraient voués à briller, et d’autres condamnés à survivre dans l’ombre. L’avenir c’est ce qu’on en fait, c’est chaque décision qu’on prend, chaque parole qu’on prononce. C’est ce que je veux pour Victor, en tout cas. Il fera des erreurs, certaines qu’il ne pourra jamais réparer, mais il grandira, il apprendra et il construira lui-même son destin. Malgré les autres, malgré lui-même. Et ça, comme le dit Victor Hugo, il y parviendra seulement en accomplissant ses rêves.

Hormis ce clin d’œil à la littérature classique, rien que le premier tome de DLB est rempli de références musicales, pour la plupart très ancrées hip-hop ! Ca passe par Jusqu’ici tout va bien de Booba, “Et si?” de Lady Laistee ou même Cash Converter de Salif …

V : Faire ce manga, c’est ma passion. Mais la musique, c’est ma vie. J’en ai aussi fait celle de mon héros, elle le suit partout, où qu’il aille. Elle lui procure des émotions fortes, même quand il pense en être dépourvu. Le blues le touche, le rock’n’roll l’inspire le et le rap fait partie intégrante de son évolution. Il l’a vu grandir et il le fait grandir. C’est une chose que je partage avec lui. Victor veut devenir une rockstar, il veut grimper sur scène et jouer de la guitare, c’est ça, son rêve. Il veut bouleverser l’industrie musicale, marquer l’histoire. Et surtout, il veut briller, même si rien ne l’y prédestinait.

Et toi, c’est quoi, ton rêve?

V : Mon rêve, je ne sais pas trop ! En tout cas, mon but,  je crois que c’est de devenir un vecteur de la culture hip-hop, grâce à Diamond Little Boy. Et grâce à tout ce que je ferai à l’avenir. Cette culture a été une trop grande source d’inspiration personnelle et artistique pour qu’elle ne transpire pas à travers ce que je crée. Tu sais, quoi ? peut-être que c’est mon destin, en fait, je viens de le décider (rires) ! Mais en vrai, la musique dans sa globalité, va dégouliner de la saga Diamond Little Boy. Le titre du prochain tome à paraître est le titre d’une de mes chansons préférées…

Tu sais très bien que tu en as trop dit, là, tu peux décemment pas t’arrêter là !

V : Tu veux l’exclu, hein (rires) ? L’un des chapitres du deuxième volet s’appellera : « The Thrill Is Gone”, en référence au classique de BB King. J’ai prévu quatre tomes pour la saga Diamond Little Boy et je crois bien que tous contiendront énormément de références musicales.

En parlant de ça, imaginons que demain on te propose d’adapter ton manga en animé, qui choisirais-tu, pour ton opening parfait ?

V : Ok… Je pense que j’hésiterais pas deux secondes avant de proposer le projet à Orelsan et Jyheuair, pour un bon feat. Et je demanderai à Anna Tsuchiya (L’interprète du premier opening de l’anime “Nana”, NDLR) de s’occuper du refrain, direct, j’irai au culot (rires) !

Pour finir, tu as dit tout à l’heure que DLB compterait 4 tomes, qu’est-ce que tu nous réserves pour la suite ?

V : C’est une bonne question. J’ai créé Diamond Little Boy parce que j’avais une histoire à raconter. Une fois qu’elle sera finie, que j’aurai terminé le récit, qui sait si le projet qui suivra ne se fera pas en dehors de l’univers du manga ? Ou peut-être que je resterai dans ce domaine ! Tout ce que je sais, c’est que je veux créer. J’irai là où j’ai envie d’aller, comme je l’ai fait jusqu’à maintenant. 

Je t’avoue qu’il y a un domaine dans lequel je te verrai trop bien évoluer mais j’ai peur de me tromper  et après, sûr et certain, tu vas te moquer.

V : Nan, dis-moi ! J’ai un truc en tête, on va voir si on pense la même chose.

On le dit en même temps ?

V :  vas-y, pourquoi pas ! 3, 2, 1…

En même temps : 

V et S : Manga d’horreur !

Diamond Little Boy Tome 1.
256 pages
Écrit et dessiné par Victor Dermo
Édité par Vega
Sortie : 20 juin 2025
Disponible en librairies, grandes surfaces et sur le site 9e-store.fr

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