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Sylvia Robinson, Godmother of Hip-Hop : interview de Real Muzul

Texte: Hugues Marly

Journaliste spécialisé musique, membre du média Get Busy, et auteur d’une biographie sur le légendaire producteur et musicien de funk George Clinton, Real Muzul rempile avec un deuxième livre, cette fois-ci à propos de la fondatrice du label Sugarhill Records, Sylvia Robinson. Pionnière dans l’industrie de la musique rap mais également artiste-interprète et productrice dans le rhythm & blues des années 50 ou la soul des années 70, son parcours s’étire sur des décennies de musiques noires américaines et mérite d’être raconté dans les détails. L’occasion d’échanger avec Muzul autour de ce personnage clé des débuts du hip-hop.

H : A quel moment tu t’es dit qu’il y avait suffisamment de matière autour de Sylvia Robinson pour lui consacrer tout un livre ?

R : C’est à force de voir son nom sur des pochettes de disques. J’ai capté que c’était elle derrière le label All Platinum. J’ai commencé à creuser autour de ça, et puis de fil en aiguille, je m’intéresse à Mickey & Sylvia, et là je m’aperçois qu’avant ça, elle avait une autre carrière. Je me suis documenté sur Sylvia Robinson, et je me suis dit qu’elle avait une vie de ouf ! Elle a toujours été là en fait, même si parfois, c’était juste du pure business. Je me souviens aussi être tombé sur son titre soul Pillow Talk, que je connaissais mais je savais pas que c’était sa chanson, et qu’elle était aussi derrière Sugar Hill Records. Tout ça additionné, je me suis dit qu’il y avait matière à faire quelque chose.

H : Au fil des digressions dans le livre, tu racontes aussi les époques traversées par Sylvia Robinson, au-delà même de la musique, tu parles notamment de Malcom X.

R : C’est aussi parce que Sylvia et son mari Joe Robinson ont sorti des discours de Malcom X sur disque via leur label All Platinum, mais c’est vrai que de manière plus générale, c’est plaisant de situer le récit dans l’Histoire. Au moment où ça sort, Malcom X est déjà décédé, c’est une figure politique bien identifiée. Il y a un mélange de contexte sociopolitique et une forme d’opportunisme économique ici. Chez les Robinson, il n’y a pas de noir, il n’y a pas de blanc, il n’y a que du vert (ndlr : celui du dollar américain). Sylvia Robinson a été inspirée par Gloria Toote qui a fondé un label de façon autonome (ndlr : Toote Town Records dans le New Jersey) où elle enregistre des musiciens blancs. Toote a aussi fait des grandes études, elle a un gros cursus, elle a fait partie de l’administration républicaine. Ce n’est pas vraiment dans l’esprit de la lutte pour les droits civiques, encore moins des Black Panthers. L’idée ici, c’est de faire partie du capitalisme, et que les noirs aient les mêmes chances de pouvoir accéder à ce système : s’enrichir, exploiter, etc… 

Crédit photo: Don Paulsen

H : Est-ce que tu dirais que Sylvia Robinson, avec sa carrière d’interprète, les enregistrements, la scène…, avait un temps d’avance en tant que productrice ?

R : Très tôt, dès l’adolescence, elle a été dans le business, elle a vu ce que c’était de se faire arnaquer. Elle a appris à la dure, mais elle a appris. Elle a très vite su ce que voulait dire : droits d’auteur, droits d’édition, que c’était là qu’il y avait de l’argent, que c’était juteux. Elle a ensuite compris qu’il valait mieux avoir un label. Elle a sécurisé ses droits d’éditions de bonne heure, en pensant à ses enfants notamment. Sylvia Robinson a réussi à appréhender le business à 360° très tôt. Mais tout ça ne peut pas vraiment marcher s’il n’y a pas une vraie fibre artistique, un véritable talent. Il faut avoir du flair et un certain goût du risque aussi, on ne sait jamais ce qui va vraiment marcher avec les musiques populaires. 

On se rend compte dans le livre qu’en dehors de Sugar Hill Records, elle a aussi été productrice de soul via son label Stang Records dans les années 70, qui a notamment signé le groupe The Moments samplé pour Empire State Of Mind de Jay-Z et Alicia Keys. Donc finalement Sylvia Robinson est partout, même indirectement dans l’histoire de la musique hip-hop.

Son catalogue a été énormément samplé parce que c’est de la bonne soul produit par les pontes du genre à la grande époque de cette musique, dans laquelle on retrouve ce grain 70’s analogique, c’est ce qui a fait l’ADN du hip-hop pendant longtemps. En fin de compte le succès de Rapper’s Delight, ça lui donne une image qui n’est pas la bonne. Elle pourrait passer pour une opportuniste qui est arrivée dans le business, qui a fait un hit, et qui est repartie, alors que ce n’est pas vrai. Elle a été productrice, compositrice, elle a fait des tonnes de trucs. On appréhende parfois mal l’ensemble de sa contribution à la musique. 

Ce qui est drôle avec Rapper’s Delight, c’est que c’est à la fois le premier tube hip-hop, mais Sugarhill Gang c’est aussi un boys band que Sylvia Robinson a façonné avec des rappeurs qui, comme tu le dis dans le livre, ne sont pas vraiment crédibles dans le milieu hip-hop à l’époque. Il y a une forme d’ironie dans tout ça ?

Aux Etats-Unis, dans le milieu hip-hop, Sylvia Robinson, c’est quelqu’un qui jouit d’une vraie crédibilité. Il y a aussi beaucoup de rappeurs qui te disent qu’ils sont rentrés dans cette musique par Rapper’s Delight. Ça a été une porte, quoi qu’on en dise. Tout comme en France, pour certains, leur première porte a été Benny B. Et puis Sylvia est un peu résumée à Rapper’s Delight, mais faut voir tout ce qu’il y a derrière. Elle signe notamment Treacherous Three, dans lequel on retrouve le rappeur Kool Moe Dee, The Message de Grandmaster Flash & The Furious Five, c’est aussi son label. Funky 4+1 avec Sha-Rock, une des toutes premières rappeuses, c’est aussi Sugar Hill Records. The Sequence avec Angie Stone, premier groupe de rap féminin qui cartonne, c’est encore Sylvia et son label. The Sequence a passé une seule audition pour signer sur le label, et Robinson les a signé direct, elle a eu du flair encore une fois.

Parlons de Bobby Robinson (aucun lien de parenté) de Enjoy Records dont Sugarhill Records a récupéré certains groupes, comment tu expliques ça ?

Avec un carnet de chèque tout simplement. Quand Sugarhill Gang explose, le succès financier se compte en millions. Sylvia Robinson n’a pas la contrainte de l’argent. Bobby Robinson était plus âgé que Sylvia. Il produit, et il est déjà dans le hip-hop quand Sugarhill Records démarre. C’est lui qui signe Grandmaster Flash & The Furious Five en premier, The Treacherous Three, Spoonie G qui est son neveu. Sylvia lui pique ces groupes en sortant le chéquier, mais ils se connaissaient déjà à ce moment-là, Bobby l’avait même arnaqué, donc Sylvia lui rend la monnaie de sa pièce en quelque sorte. 

J’aimerais qu’on parle de Positive Force, le groupe de Sugarhill Records.

C’est ce band qui joue sur Rapper’s Delight. La formation maison ensuite, c’est la colonne vertébrale du groupe Wood Brass & Steel : Doug Wimbish à la basse, Skip McDonald à la guitare, Keith Le Blanc à la batterie. C’est eux qui vont former le house band de Sugarhill Records. Il y a aussi d’autres musiciens comme Clifton “Jiggs” Chase, claviériste, il y a aussi Ed Fletcher, percussionniste qui compose The Message. Tous ces musiciens allaient aux soirées de Grandmaster Flash pour écouter ce qui faisait kiffer les gens, puis enchaîner au studio, et enregistrer des sessions qui allaient servir au catalogue du label. Tout ça, c’est avant l’utilisation des boîtes à rythmes dans le hip-hop. 

Cette histoire, c’est aussi l’occasion de rappeler que contrairement à la France, le rap s’est d’abord beaucoup développé à travers des labels indépendants.

Il faut prendre en compte qu’à l’époque où les genres comme le blues et la soul étaient à la mode, il y avait déjà plein de petits labels aux Etats-Unis. Certains labels mettaient même parfois leur studio à la disposition d’enregistrements à la demande. C’était une autre économie, l’industrie de la musique était beaucoup plus développée qu’en France. Les Robinson, Sylvia et son mari, avaient aussi investi dans différents business : clubs, société de locations de jukebox, … La force de ce couple dans les affaires, c’est d’avoir souvent fonctionné en autonomie, d’être resté dans le New Jersey, d’avoir su piocher dans le vivier musical de cet état à la frontière de New York.

Il y a aussi une chose qu’on a tendance à oublier à propos de Sylvia Robinson, et dont tu parles dans le livre,  c’est qu’elle a aussi joué un rôle sur la partie musicale de certains morceaux chez Sugarhill Records.

Oui, et elle a également mis son nom sur des crédits à la place des autres parfois, mais beaucoup d’artistes ont eu droit à ça, ceux qui ont bossé avec George Clinton, avec James Brown, ont tous eu droit à ce genre de carotte. Ceci dit, c’est toujours important de rappeler que c’est pas quelqu’un qui était intéressé seulement par l’argent. Son travail était porté par une vraie fibre artistique. Quand elle a entendu The Message de Grandmaster Flash & The Furious Five, elle a tout de suite capté qu’il y avait un truc. Ce titre a été fait deux ans avant de sortir. C’est le fruit d’une répétition des musiciens de Sugarhill qui tapait sur des bonbonnes vides. Et c’est Sylvia Robinson qui a senti qu’il y avait quelque chose à faire avec cette ébauche, elle a demandé aux musiciens d’enregistrer une démo, mais Sugarhill Gang n’en a pas voulu, et Grandmaster Flash non plus dans un premier temps. Le titre est finalement sorti au juste moment par rapport au contexte politique en 1982. La présidence de Reagan commençait déjà à faire des ravages à ce moment-là. Ce titre racontait tellement l’époque, ça a été une traînée de poudre. Si c’était sorti un peu plus tôt, ça aurait peut-être fait pâle figure à côté d’un rap majoritairement festif. 

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