Pour cette première immersion, nous avons choisi de tendre le micro à un artiste à la croisée de nos chemins. Après deux années de silence, Zikxo revient avec un projet sincère, traversé par les doutes, les remises en question et la volonté farouche de rester fidèle à lui-même.
Pour le rappeur bondynois, il y est question de renaissance, d’indépendance, de douleur, mais surtout d’un amour intact pour le rap.
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Texte par Inès Ouzerout et Nour Aucomte
Photographie et Direction artistique par Nour Aucomte

Commençons avec l’intro, « C’est Z ». J’ai l’impression que t’as eu besoin de réaffirmer qui tu es aujourd’hui. Pourquoi était-ce nécessaire de revenir avec ce message d’entrée de jeu ?
C’était l’état d’esprit pour ce morceau car les gens m’identifient vraiment en kicker. C’est vraiment ce que je kiffe faire à la base : les sans-refrains, bien hargneux, bien vénères. J’ai toujours mis un point d’honneur à ce que mes intros soient assez puissantes. Je ne l’ai pas fait dans une optique de le mettre en intro. On était en séminaire, et le compositeur, Jerzey, avec qui j’étais sur place, a fait tourner la prod, je l’ai écrit super vite et après l’enregistrement, j’ai dit : « Ah, c’est ça l’intro. » Je voulais que ça tape bien.
Sur l’EP en général, il y a une évolution dans ta manière de poser. C’est moins brutal, toujours incisif mais plus doux. D’où vient cette transition ? C’était volontaire ?
Même moi je me suis fait la réflexion, tu sais. Quand j’écoute mes anciens titres et cet EP. Je ne sais pas si c’est l’âge ou la maturité mais même en cabine, je me trouve moins excité, moins à crier partout. Je suis plus posé. Mes textes, je les trouve un peu plus réfléchis, avec plus de maturité. Je pense que ça joue sur ma manière de les rapper. Des fois ça me contrariait un peu. Je me suis dit : « Attends, je vais essayer de crier maintenant. » et ça me plaisait moins qu’avant.
Est-ce que c’est aussi lié à tes étapes de vie ?
Ouais, grave. J’ai eu une absence de deux ans, à cause du décès de ma grand-mère. Ça m’a grave mis une tarte. En même temps j’étais dans un problème de maison de disque, entre les papiers, chercher où j’allais, avec qui j’allais signer, ensuite j’ai monté mon label, c’était plein de galères où j’avais plus forcément envie de rebalancer. Ça a pris du temps aussi, c’est vrai. Je trouve que l’EP, c’était un peu la transition entre tout ça. Je me devais de revenir de manière propre et efficace, ne pas perdre les gens avec un long projet.
C’est la première création que tu sors en indépendant, comment ça s’est passé pour toi ?
C’était nouveau. En fait, c’est bizarre, parce qu’il y a eu un entre-deux. Je sortais de Rec 118 en contrat d’artiste, mais j’avais déjà fait certains titres de cet EP, et même d’autres qui ne sont pas dedans avec Rec118. J’étais encore en maison de disque avec mes DA d’avant, et ils m’ont donné les morceaux, dont “Blue Magic”, “H ou C”, et “Cruel”, je crois. Donc j’avais ces titres-là, et je me suis dis : “bon, maintenant j’ai monté mon label, j’ai envie de sortir l’EP, mais il manque des titres. On ne va pas sortir un EP de quatre morceaux.” Du coup, je me suis formé une nouvelle équipe et c’est là que j’ai fait les autres morceaux. Cet EP, il a été fait dans une vraie période de transition à tous les niveaux : ma vie, mon écriture, les papiers, etc…
Monter ton label c’était compliqué ?
Au tout début, je n’y connaissais rien, donc j’ai signé un contrat d’artiste. Je voulais apprendre mon métier et ça m’a grave servi parce que je me suis fait un réseau et je me suis vraiment amusé car t’as pas à te prendre la tête avec l’argent. Surtout que la série des freestyles “Temps” m’avait coûté assez cher. Après, c’est mon avocat, avec qui j’ai commencé dès que j’ai signé en 2018 et mon ancien label Rec 118 qui m’ont aidé à monter ma structure. Je devais être distribué par Rec 118, avant qu’ils aient leurs histoires avec Warner. Au final ça ne s’est pas fait, mais ce sont eux qui m’ont poussé à le faire. J’avais signé à 23 ans chez eux, là j’en avais 28, je voulais voler de mes propres ailes et apprendre encore plus. Ils m’ont vraiment accompagné. Ils me donnaient des conseils : “Tu vois, Ninho fait comme ça”; “DA Uzi fait comme ça”; “faut arrêter de fumer ». C’était une vraie famille. Le monter n’a pas été difficile en soi, mais maintenant, je suis « tout seul » et c’est plus compliqué. Mais c’est que du kif parce que j’apprends de nouvelles choses et j’ai une nouvelle casquette. Si demain je suis amené à mettre fin à ma carrière — ce sera pas tout de suite — je pourrais produire par exemple ou faire autre chose.
T’as envie de transmettre avec cette nouvelle casquette ?
Ça vient de plus en plus. Au début, je ne voulais absolument pas. J’étais très borné sur moi et ma carrière — je le suis toujours. Personne ne signera dans mon label autre que moi pour l’instant. C’est ma carrière qui est en jeu. J’ai envie de faire encore plein de choses pour moi, et je n’aurai pas le temps de me concentrer sur quelqu’un d’autre. Je vais lui faire perdre son temps. Après, je vois les paramètres, je suis dans des discussions où je n’étais pas avant, quand j’étais juste l’artiste, et je commence à y prendre goût.
Et surtout, quand des plus jeunes me demandent de passer en studio, ça me fait toujours kiffer d’être derrière et de donner des conseils musicaux, de les aiguiller. Quand ils sont réceptifs, ils écoutent et aiment apprendre, après je n’ai pas la science infuse.
Quand j’étais petit c’était ça, je prenais ce qui était bon, je laissais le reste, je me faisais mon propre avis.
Et ton équipe ?
L’ingénieur son avec qui je bosse, qui est devenu mon frérot, Maher, je l’ai rencontré quand Rec 118 m’envoyait faire des sessions dans un studio chez Blue Sky. On s’est recroisés par hasard et le feeling est passé. Maintenant, il a un studio à Boulogne et ça fait un an et demi que je suis là-bas pour faire du son avec lui. Dans l’équipe j’ai pris mon petit frère en management, il apprend le métier aussi, car il est ambulancier de base. C’était le mec qui venait se poser au studio et qui disait : « J’aime bien, j’aime pas ». Il voulait me suivre dans mon aventure et maintenant on est indépendants, on est plus libres et plus fluides, on va un peu partout. En général, dès que je vois que ça matche bien humainement avec quelqu’un, et qu’il y a de l’affinité, on essaie de faire quelque chose ensemble. L’équipe, je la monte à l’humain.
C’est une fierté de faire tout ça ?
Ouais, grave. Grave. C’est une fierté, parce que je voulais juste faire de la musique de base. Je faisais juste des freestyles. Maintenant, me retrouver avec un label, avec plusieurs projets derrière moi, je me dis que j’ai bien fait d’y croire. À 16 ans, c’est compliqué de se projeter. Quand tes parents te disent : “C’est pas tout le monde qui peut faire ça »; “C’est pas un métier fiable”. Aujourd’hui j’ai une structure, je suis content et satisfait. Il y a encore du travail, mais je suis satisfait.
Quel son a été le plus compliqué à faire sur l’EP ?
“Blue Magic”. Et pourtant je l’ai fait avec Rec118. J’ai bossé avec un compositeur qui s’appelle 2K On The Track, et ça a été très compliqué car ce mec m’a grave cerné. C’était dur dans le sens où il m’a fait aller chercher des émotions que je ne voulais pas forcément aller chercher. Même dans la prod, quand ils ont ramené les mélos par exemple, je me suis mis dans mon coin et j’avais les larmes aux yeux quand j’écrivais. Techniquement, j’ai joué plusieurs fois avec ma voix et mon flow donc la première partie, il fallait la poser proprement, la deuxième aussi mais avec une autre intonation. Tout ça avec l’émotion qui était forte, surtout quand je parlais de ma grand-mère, j’avais la gorge nouée. En plus, il est long, il ressemble à un freestyle “Temps” mais justement, je ne pouvais pas le poser comme un freestyle en one-shot avec un son qui ressort un peu grésillant. Il fallait que ce soit un beau morceau propre. C’était vraiment le plus technique.
Dans “C’est Z”, tu dis : “Je suis revenu des morts. Comme un mec qui fait Paris-Marseille dans les cinq heures pour sauver son honneur.” T’as ressenti le besoin de sauver le tien ?
Oui vraiment selon moi. L’extérieur, tranquille, je ne calcule pas trop. Mais c’est vraiment moi, me dire : « Est-ce que j’en suis encore capable après deux ans d’absence ? » Et j’étais dans une période où je regardais mes anciens freestyles. Ça commence à faire 5, 6 ans et j’ai douté. Peut-être que c’est fini, que le prime est passé, donc c’était purement personnel. Il faut que je me sauve, que je sauve ça parce que je fais ça depuis que je suis petit. Ce serait bête de tout couper maintenant.
Après ces deux ans d’absence, cet EP tu l’as écrit pour tes auditeurs ou pour toi ?
Je crois que je me le suis écrit à moi-même plus qu’autre chose. Depuis que je suis petit je vais très en profondeur dans mes textes. Parfois on me l’a déjà reproché, certains réals avec qui j’ai bossé m’ont souvent dit que j’allais puiser trop au fond de moi pour pouvoir écrire. Par exemple, s’il y a une instru qui tourne en studio, je peux ne pas y aller pendant deux heures car selon moi je n’ai pas encore le texte parfait. Je ne lâche pas prise en fait. Je suis très sensible aux prods surtout et dès que j’ai une prod qui me donne des frissons — ce qui est de plus en plus rare, parce que j’en ai bouffé — je me sens obligé de lui faire honneur et je vais au plus profond. Je m’isole, j’ai mon truc et je vais dans ma douleur profonde. Les titres ont une émotion parce que c’est ce que j’ai besoin de me dire, à moi. Et j’en ai eu la preuve avec les freestyles “Temps”, quand je fais ça, ça parle à beaucoup de monde. À des gens qui vivent la même chose.
Parlons justement des freestyles “Temps”, c’est une série qui a demandé beaucoup de rigueur avec des sorties hebdomadaires. La discipline t’as toujours accompagné ?
Non. Je ne suis pas du tout discipliné, je m’active vraiment quand je suis presque au pied du mur et que je ressens la pression. Je ne me laisse plus le choix du tout. Parfois je peux beaucoup procrastiner et je suis encore en combat avec ça. J’essaie de trouver le juste milieu. Parce que moi, c’est tout ou rien et ça me joue des tours. Par exemple, pour les freestyles Temps, j’avais quitté mon BTS, j’avais tout quitté, je voulais absolument faire de la musique. Donc inconsciemment, mon cerveau s’est mis dans un mode “pas le choix”. En parallèle j’étais aux Cours Florent — une école qui m’a beaucoup aidé. Mes profs savaient que je voulais être rappeur, donc ils m’ont aiguillé autour de ça. Et apprendre du Racine, des textes de théâtre de 4 pages en vrai pour ma mémoire, c’était un autre délire. La discipline devenait logique, je la voyais même plus.
À l’inverse, quand j’ai signé, je ne pouvais plus être là toutes les semaines. Je devais attendre car ce n’était plus entre mes mains. Avant, je montais mes clips, je gérais tout mais quand j’ai délégué, que j’ai pris l’habitude d’attendre les retours des autres, c’est là que j’ai procrastiné.

Pendant deux ans, tu n’as pas eu de cadre strict. Est-ce que tu as tenté de le reconstruire pour cet EP ?
Pas encore à fond car il a été fait le cul entre deux chaises. Mais j’ai plus envie de revivre ces deux années. La procrastination quand tu ne sais pas où tu vas c’est plus inquiétant et ça laisse la place aux doutes. Donc j’ai envie que la structure fasse que je sois tous les jours la tête dans le guidon. Quitte à choisir, je préfère ne plus jamais voir personne, et être que dans le travail. J’ai envie de trouver ma vitesse de croisière, et que ça coule de source.
Quel regard portes-tu sur ces deux versions de Zikxo ?
Mon regard change tous les jours. Des fois, je me regarde à 23 ans, l’année des freestyles et je me manque. Notamment sur le fait de tout faire seul. Un détail bête, mais je ne touche plus le logiciel de montage. Je suis sûr que là, je galérerai à reprendre. Il y avait aussi de l’insouciance dans ces freestyles, ça me manque beaucoup. Maintenant, je comprends les enjeux, il y a plus de monde qui me suit, plus de chiffres, d’argent.
Mais ce que je kiffe aujourd’hui, c’est de me dire que grâce à ça j’ai une carrière. J’ai 30 ans et j’ai fait 4, 5 projets donc je ne me manque pas par rapport au Zikxo des freestyles. Je suis fier car on était combien dans cette ville à rêver de musique ?
J’espère que la décennie qui arrive sera encore deux fois plus mouvementée.
Tu as dû faire des concessions dans le passé ?
En vrai ouais. Avec le recul, j’ai perdu beaucoup de monde. J’ai galéré tellement longtemps avant que mon blaze prenne un peu. Avant toute cette série de freestyles, ça faisait 8 ans que j’étais sur Internet, et que ça ne marchait pas. Quand c’est arrivé, je me suis un peu perdu. Je croyais que j’allais pouvoir sauver tout le monde : mon ex-femme, mes potes… Alors qu’ils ne comptaient même pas sur moi, j’avais cette phrase à la bouche : « Vous inquiétez pas. » À cause de ça, j’ai perdu du monde.
Parce qu’au bout d’un moment on m’a dit : « Ok, t’as fait ce que tu voulais, mais la vie elle est toujours pareille, en fait. » Il y a des choses que je n’ai pas faites. Je ne me suis pas marié, je n’ai pas d’enfants, ce sont des sacrifices pour la musique. J’ai tout donné au son, aux projets et au final, ça m’a juste régalé moi. Je reste fier parce que c’est ce qui compte le plus pour moi, ma passion.

Qu’est-que le rap t’a apporté ?
Si je n’avais pas fait de rap, je pense que je serais encore dehors, malgré l’école et les diplômes car l’environnement est plus fort que tout. Et quand ça parle d’oseille, j’aurais pu vite déraper car c’est une nécessité. Je suis reconnaissant pour ça. Le fait d’être en label m’a tellement sauvé, d’être dans un environnement avec des personnes qui travaillent dans la musique sans être rappeur, ça m’a appris leurs métiers.
Ça m’a sauvé aussi parce que je vis de ma passion. Tout le monde ne peut pas. Je ne rends de comptes à personne et pour moi c’est une chance. Je ne sais pas comment j’aurais fini sans le rap.
« Blue Magic », c’est un sorte d’ode au quartier. Tu parles aussi de cette relation ambivalente, parce que tu sais qu’il peut t’être néfaste.
Blue Magic, c’est vraiment réel. J’avais vraiment les larmes aux yeux. Je pensais à tout : je passais de ma grand-mère, à ma femme, à mes potes que j’ai perdus au quartier. Ce titre m’a bouleversé.
Ça me fait penser à un autre son aussi, dans ma toute première mixtape TEMPS que j’ai sortie en 2019. Ll’intro, elle s’appelle 93, je dis : “Je t’aime plus que tout, mais je suis pressé de te quitter.” C’est contradictoire de vouloir partir, mais à 30 piges, j’y suis encore alors que je pourrais être l’un des premiers à me barrer d’ici. Beaucoup autour de moi ont franchi le cap et moi je dis ça depuis des années mais je n’y arrive pas.
Pourquoi ?
Justement parce que je sais que je suis “sauvé”. Je sais que je ne pourrais plus retourner dans les mauvais travers. La seule chose qui me dérange ici maintenant, c’est de voir un peu les mêmes murs, les mêmes choses. Mais est-ce que j’ai les couilles de me barrer ? De vivre une nouvelle vie, tout recommencer à zéro, tout réapprendre ? Et je suis vraiment aimanté au quartier.
On va parler un peu de l’image derrière ton EP. Tu observes un enfant qui joue à la marelle. Quelle symbolique tu voulais transmettre ?
On a hésité entre deux images au début : celle où il jouait dedans, et une autre où il écrivait. Et il y a une autre image pour la tracklist avec trois enfants, assis, qui dessinent les contours de la marelle. C’était un clin d’œil à mes potes de l’école, ceux qui m’ont encore plus fait kiffer le rap. On se voyait faire ça de nos vies et on avait tracé notre chemin. Depuis petit, on allait dans le même studio, on se disait : “On va tous devenir rappeurs. » Donc on a écrit notre parcours ensemble.
La pochette qu’on a choisie, c’était pour montrer qu’une fois que t’as voulu écrire ton parcours avec tes potes,au final, quand tu vas dans ce chemin de vie t’es tout seul. T’es seul dans ta vie de tous les jours. Dans mon jeu de la vie, je joue tout seul et dans la marelle, les symboles qu’on a mis dedans, ce sont toutes des étapes que chaque être humain traverse seul. On a choisi celle où il est debout parce que je suis encore dans ce jeu et le but c’est d’atteindre le ciel.
Et cet attrait pour l’image, ça te vient d’où ?
Ça, c’est vraiment une bonne question. Je sais que depuis que je suis petit, ma maman me mettait déjà en scène dans la photo. À 6 ans, j’ai fait des pubs pour Levi’s, des trucs comme ça, Des photos de “mannequinat” un peu mytho. J’ai toujours aimé être devant la caméra et en commençant les clips très jeune, à 15 ans, j’ai toujours eu ce truc. Aux cours Florents j’ai choisi le cinéma et j’ai appris à être derrière la caméra c’était trop bien. J’ai toujours eu ce lien avec l’image et ça me suit encore aujourd’hui.
Le cinéma c’est une autre manière de raconter sa vie ? De la jouer ?
Complètement. Pour moi, c’est tout ça en même temps. Rien que le fait d’avoir un pseudonyme c’est un peu jouer sa vie. Je suis aussi Zikxo qui rappe la vie de Florian. Il y a un côté réalisateur et acteur. Les acteurs aiment bien parler à la troisième personne quand ils parlent d’un rôle. Ce qui est un peu contradictoire avec le rap. Pour écrire, j’ai énormément de références aux films que j’ai vus et je pense qu’un mec comme SCH, Soso Maness, Lacrim… tout le monde s’est construit à partir de ce qu’on a vu depuis petits. Et c’est clair que, même si ça se rejoint par moments,quand tu rentres vraiment dans le cinéma, c’est un autre travail.

En plus, tu disais que t’avais du mal à lâcher prise en cabine, en jouant la comédie c’était autant difficile ?
Tout à l’heure tu me disais qu’il y avait un changement d’interprétation et d’intonation, je crois que c’est aussi grâce au théâtre, le fait d’être à vif, en fait. Le théâtre m’a appris à lâcher prise et c’était la période où je balançais les freestyles “Temps”. De base, j’suis quelqu’un qui ne supportait pas de me mettre en spectacle, selon moi, le ridicule tue, direct. Le fait de pouvoir lâcher prise, alors que je suis quelqu’un de très enfermé et de le faire seul en cabine, ça me fait du bien. Je pense qu’il faudrait que je me remette au théâtre, pour être encore plus à l’aise. C’est vraiment dans mes projets.
D’où le court-métrage Thérapie ?
Exactement, j’avais envie de le jouer. Je me rappelle que j’avais dit à l’équipe qu’après 2 ans d’absence, je ne voulais pas revenir simplement en musique avec un clip. Avec Rec 118, j’avais demandé pour Jeune et ambitieux, mon premier album, de tourner un court-métrage de 30 minutes et ça aurait pris son sens. Comme je n’ai pas pu le faire chez REC 118, en contrat d’artiste, là c’était le moment, même si c’est plus court. Et j’espère que pour la suite, j’en aurais d’autres. Celui-là est particulier car il traite de ma vie. Je suis libéré, et j’ai envie maintenant de faire plus d’imaginaire, pas uniquement parler de ce que j’ai traversé.
Et mettre de l’imaginaire dans ta musique tu y penses aussi ?
C’est trop lourd cette question car j’en parle avec mes potes actuellement. Cet EP, j’ai envie que ça soit un peu le dernier projet qui parle uniquement de ma vie, mes émotions, mes douleurs. Quand je pense à certains projets comme Trinity ou Jvlivs en vrai qui dont partie selon moi des meilleurs albums de ces dernières années, j’aime voir les collègues se permettre des choses en liant leur vie en même temps. Quand tu l’assumes ça rend le tout encore plus beau.
Dans le morceau “H ou C” tu dis : “fais pas d’efforts, faut aimer le rap pour m’assimiler. » Et j’ai l’impression, encore plus après cette pause, que tu souhaites toucher uniquement des gens qui te comprennent.
Si tu n’aimes pas le rap, je n’ai pas envie que tu m’écoutes en fait. Sinon je ferais des sons qui ne me correspondent pas, et ça, sans te mentir, j’ai déjà essayé. C’est trop dur. Déjà, d’y croire c’est dur. Après, quand le morceau est fait, il faut l’écouter, le défendre, à un moment donné, j’ai pas le temps. Si tu aimes le rap, tu comprendras ce que je fais. Je vais toujours chercher à briser un plafond de verre mais à ma sauce, trouver mon truc à moi, je ne sais pas encore comment mais sans me travestir ou me dénaturer.
« j’ai baisé ma santé fils de pute par passion et ça pour peu de rentrée », « J’vends ce que je dis ». Tu peux me parler un peu de cette phase ?
Déjà le son “J’vends ce que je dis” en fait, j’ai encore du mal avec ce truc-là de gagner de l’argent parce que je raconte quelque chose que d’autres personnes peuvent vivre aussi. Aujourd’hui, j’en suis fier, mais ça me choque. C’est un peu le syndrôme de l’imposteur. Ma mère, elle se lève tous les matins à 6h, elle prend le métro et moi, des fois, je suis là, je dors jusqu’à midi, je suis rentré de studio à 4h30 et je vais toucher plus d’argent qu’elle.
Quand je vais jusqu’au bout de la phrase, je me dis que c’est peut-être ça qu’on me paie : le fait que j’ai baisé ma santé. L’hygiène de vie, dans ce métier, j’y travaille beaucoup. Je ne touche plus à rien. Je fais de la musique, à jeun, ce qui ne m’était pas arrivé depuis très longtemps, que ce soit la boisson ou la fumette. Certaines semaines en séminaire se levaient à 18 heures, ça va en studio, on commence à fumer et à boire. On fait du son vers 2h donc pendant 7 heures on n’a rien foutu, on a juste fumé et bu. On fait du son jusqu’à 6h et on va se coucher. On se relève à 14 heures, on ne fait pas de sport, on vit la nuit. Je vends ce que je dis, mais en fait, je vends peut-être ma santé. Il y a un côté où c’est chelou à mort.
Ça t’aidait à créer d’être dans cet état ?
J’ai commencé à fumer très tard. Avant, j’étais dans le délire sportif et quand j’ai eu mes galères à 23 ans, je me cachais dans ma ville, c’est là que j’ai commencé à fumer, discrètement, parce que j’étais dans un état où ça n’allait plus. Quand j’ai commencé à fumer, c’est comme si ça m’avait ouvert l’esprit. Je me suis persuadé que sans ça, je ne pouvais plus écrire. C’est ce qui fait que pendant les sept années qui sont déroulées, là où j’ai fait de la musique, j’ai énormément fumé et bu. Je repense à quand j’étais plus jeune, j’écrivais et tout allait bien. Mais en même temps, je n’avais pas fait connaître mon nomet selon moi c’était grâce à ça.
C’est la maturité qui me fait comprendre que c’était faux, tu vois. C’est un peu dur car ce sont des habitudes. Quand je rentre dans un studio, c’est la première pensée qui me vient alors que tout va bien. Ça m’a fait peur pour l’avenir, t’imagines à 50 ans je ne peux plus marcher ? La flemme. J’aurais beau avoir tous les disques de diamants du monde, même ça veut dire que t’es obligé d’être bourré pour gagner de l’argent, ça commençait à me stresser à mort.
Dans le dernier morceau, “Cruel”, tu as une voix plus claire, comme si tu avais défriché le terrain avec cet EP. Tu te sens de remonter sur un album ensuite ?
C’est l’objectif et c’est ce qu’on bosse, actuellement. J’ai envie de remettre des feat, de chanter avec des gens, je ne sais pas encore qui pour l’instant. J’aime bien avoir mes solos et construire les feats autour de ça. J’aimerais bien un artiste de chez moi, de la Guyane. C’est ma grand-mère qui va être contente. Ça va mettre du temps, pour ne pas négliger le boulot, et entre temps, pour pas disparaître je vais balancer à foison. Il y a des humains qui m’ont demandé de faire un espèce de télégram où je lâche des sons qui ne vont jamais sortir, je crois que je vais le faire. Je veux reprendre vraiment le côté plaisir, moins être dans des logiques de stratégies et de réflexion. Je veux faire ce que j’aime.
Si tu devais écrire au Zikxo d’il y a 5 ans, que lui dirais-tu ?
Je lui dirais de ne pas négliger tous les gens qui l’entourent, de rester dans le kiff parce que “6 ans après, nique pas mon rêve” j’ai encore le droit d’y croire.