C’est dans la galerie La Hune dans le 6e arrondissement parisien que Fifou installe la résidence En Pire. Fruit d’un travail persistant depuis une vingtaine d’années, le photographe et directeur artistique travaille avec une immense partie du rap français. Le vernissage de l’exposition « New Gen », accompagnant la sortie du livre éponyme, est un moyen pour lui de fédérer les jeunes artistes visuels.
Par Chaïmaa Alioui
« C’est un peu un relais pour moi ». Désormais, Fifou souhaite participer à créer une communauté de jeunes talents visuels autour de lui. Avec son nouveau livre New Gen, publié chez En Pires éditions, le photographe et directeur artistique met en lumière 25 créatifs et créatives. Une exposition accompagne le Mookbook de plus de 200 pages. Elle est visible en libre accès à la Hune. Installé dans ce cadre inspirant, Fifou répond à mes questions.
Chaïmaa : À l’occasion de la sortie du livre New Gen publié chez En Pire éditions, tu as organisé cette exposition. Qu’est-ce qui a motivé cette initiative ?
Fifou : J’ai toujours eu le « fantasme » de travailler de la même façon que le modèle américain. Je m’explique : ce qui m’a marqué quand j’allais plus jeune aux Etats-Unis, c’est de voir à quel point le collectif est important. Les gens se mélangent beaucoup plus facilement qu’ici.
Quand on a monté cette exposition, j’avais cette envie de fédérer le collectif. J’ai tout de suite pensé à « New Gen ». Ce serait pour moi un rendez-vous annuel où on mettrait en lumière le travail de personnes talentueuses dans l’image : graphistes, plasticien.ne.s mais surtout des photographes.
Il y a vraiment ce côté « en famille » qui me fait tripper sur New Gen. Sur les réseaux sociaux, on se parle tous. Ça fait des années que je reçois pleins de messages de jeunes photographes qui me posent pleins de questions sur mes débuts, quel type de lumière j’utilise… Je me suis rendu compte qu’il n’y a plus de tabou : on peut tous collaborer, se soutenir. New Gen c’est un peu ce symbole de compiler énormément de talents, surtout dans la jeunesse. C’est un peu un relais pour moi… Personnellement, j’ai connu des obstacles et pleins d’épreuves. Si, à mon échelle, je peux conseiller et mettre en lumière des personnes, c’est mon but !
Chaïmaa : Être dans la legacy comme on dit aux States…
Fifou : Ouai, c’est ça ! Moi je suis beaucoup inspiré par Nipsey, par le côté marathon. Dans la musique en particulier, je partage beaucoup de valeurs avec le label Foufoune Palace (ndla, label indépendant dont font partis les artistes Luidji et Tuerie). Ils sont aussi dans cet état d’esprit très familial et, surtout, très positif. Justement, je trouve ça positif de pouvoir mélanger plusieurs styles.
Chaïmaa : Plus personnellement, te souviens-tu d’une personne qui t’as tendu la main ou d’un conseil qui t’as marqué et qui a pu t’aider ?
Fifou : Dans le milieu de la photo, quand j’ai commencé, malheureusement je n’ai pas connu ça. On ne m’a pas aidé : j’ai pas eu de formation, j’ai pas eu de tuto car dans les années 2000 il n’y avait pas encore ce truc-là.
Le milieu de la photo c’est un peu comme celui de la magie : aucun magicien ne va donner ses skills. C’est un truc très perso. Quand j’ai commencé, mon maître de la photographie qui m’a initié – et que je big up, Christophe Gstalder – ne m’a pas appris la photo. C’est quelqu’un qui m’a plutôt ouvert la porte. Il m’a conseillé sur ma manière d’être en tant que photographe. C’est toute une vie. Tu vois, aujourd’hui j’ai 40 ans. Si tout se passe bien, jusqu’à mes 80, 90 voire 100 ans, je pratiquerai cet art. Il m’a donné cette motivation, cette curiosité. J’ai donc été un peu initié. Mais lorsque j’ai commencé, malheureusement, j’ai pas eu cette chance de me retrouver en galerie à 20 balais. C’est ce truc-là que je voulais faire : accélérer tout ça.
Je me dis, il y a peut-être ici des jeunes qu’ont 20, 21 ans. Ils ont beaucoup de talents. Je leur « permets » d’exposer dans une galerie assez prestigieuse. Pour moi, c’est donc une grande fierté comme « un grand frère ».
Chaïmaa : Les professionnel.le.s que tu mets en avant l’ont tous et toutes. Peux-tu nous dire c’est quoi l’esprit En Pire ?
Fifou : Pour moi, l’esprit En Pire… sans être cliché, c’est ne pas lâcher l’affaire et d’y croire à fond. Surtout, c’est ne pas se donner de limites artistiques et créatives. Dans ce qu’on peut voir aux murs, il y a quand même quelque chose de puissant dans chaque proposition. Le parti-pris du cadrage, la colorimétrie… Ils ont tous déjà leur style alors que ça fait à peine quatre, cinq ans qu’ils shootent. Je trouve ça incroyable !
Par ailleurs, le logo En Pire, quand je l’ai dessiné sur mon canapé un soir, j’ai vraiment voulu mettre en avant les cancres et les derniers de la classe, tu vois. Moi, j’étais pas un dernier de la classe mais j’étais pas un talentueux à la base. Par contre, à force de travail et de persévérance, tous ces jeunes qui ont accepté de participer au projet – j’aime pas ce terme mais c’est un peu la réalité – ont cette dalle créative. On en revient au marathon. Ils veulent montrer ce qu’ils ont en eux, dans le ventre. Je pense que c’est ce qu’on ressent dans ce livre. Il y a forcément des lacunes, des choses qui ne sont pas maîtrisées mais il y a une forte attention. Ça, c’est ce qui prime.
Chaïmaa : Merci beaucoup !
Fifou : Merci à toi ! 33 Carats, on big up fort !