Texte: Myriam Bennezzar
Felhur et Andro, c’est la rencontre entre un ancien prof de philo et un champion de France de beatbox dont les affinités musicales ont naturellement mené à la création d’un duo prolifique. Que leurs textes parlent de politique, d’amour ou de deuil, le binôme de rap nous livrent leur vision du monde sans tabou ni langue de bois.
Après l’EP « La vie est simple » en 2021, les albums « Recueil » et « Liaisons » en 2023, puis « Ruptures » début 2025, Felhur x Andro font leur retour avec L’EP « Les Cendres », première partie d’un projet musical qui allie justesse des textes et prods percutantes. Interview.
Myriam : Bonjour à tous les deux et merci d’avoir accepté l’invitation de 33 Carats. Je vous propose d’entrer directement dans le vif du sujet et de nous raconter comment est né le duo Felhur x Andro.
Andro : Ça s’est fait progressivement. Après s’être rencontrés en 2018 dans un tremplin parisien, on s’est tout de suite dit qu’on voulait essayer de faire du son ensemble. À la base, je devais intervenir sur le projet de Felhur, faire une ou deux prods. Le temps passant, il a souhaité garder ses morceaux et qu’on fasse un projet à part. On a rencontré un producteur et à la suite de ça, on a lancé notre projet.
À quoi ressemble votre processus de création ?
Felhur : Le plus souvent, ça vient d’idées que j’ai. Sur « Ruptures » encore plus que sur le nouveau projet. Mais généralement, j’arrive avec un narratif, une idée, une ambiance. J’écris de mon côté, puis on réfléchit ensemble sur ce qui est pertinent dans les idées que j’ai amenées, sur ce qu’on peut faire pour améliorer ce qui a été proposé. Il y a tout un travail de création dans un second temps. Plus rarement, Andro va proposer une prod’ et je vais écrire par dessus.
En septembre dernier, dans le cadre d’un concert que vous deviez donner à l’auditorium du Groupe Le Monde, le journal définissait votre musique comme « numérique et organique, punk et pop, un rap acide et soigné ». Elle vous plaît cette définition ?
F : Oui, c’est pas mal !
A : Je crois, en tout cas, que c’est ce vers quoi on essaie de tendre.
F : Il y a énormément de sonorités digitales, et en même temps, les prods sont souvent construites autour de résonances organiques avec des instruments de base ou du beatbox. Il y a des inspirations pop avec des sons qui se veulent plus grand public, mais aussi une dimension punk dans la transgression et l’irrévérence. Il y a aussi une grosse réflexion menée autour du choix des mots avec une volonté de piquer, de déranger et de provoquer.
Dans votre album « Recueil », qui a d’ailleurs eu le droit à une réédition, vous mettez en musique des textes de Baudelaire, d’Apollinaire, de Rimbaud etc … D’où est venue cette envie de sortir ce projet ?
A : C’est quelque chose que Felhur avait déjà fait sur des projets précédents, d’utiliser des références littéraires comme Baudelaire en rap. On a retravaillé l’idée pour que ça fonctionne sur les réseaux. À cette époque, on avait un format pour lequel on souhaitait allier philo et culture populaire pour intéresser les gens à ces thématiques-là. On a vu que c’était assez plébiscité, on a décidé de sortir deux, puis trois, puis quatre sons sur les plateformes de streaming pour que les gens puissent les réécouter à leur guise.
Comment se fait le choix des textes à mettre en musique ?
F : Ça s’est fait naturellement avec les poèmes que je connaissais, que j’avais appris. Avant d’écrire du rap, j’écrivais de la poésie, et je suis beaucoup allé dans des lieux comme « Le Club des poètes » rue de Bourgogne (VIIe) pour réciter des poèmes. J’ai aussi fait beaucoup de théâtre, et dans ces pratiques, j’ai appris pas mal de textes. On a essayé de prendre des textes très célèbres sur les premiers choix, parce que l’idée, c’était aussi que les gens reconnaissent des choses qu’ils avaient déjà entendues. Un retour qui nous a rendu particulièrement fiers, c’est quand les gens nous disaient : « Je connaissais ce texte, mais je l’ai compris sous un autre jour, parce que c’est avec une prosodie à laquelle je suis plus habitué, plus accoutumé ». La question de la notoriété des textes a été un peu moins prise en compte avec la réédition, pour laquelle on s’est permis plus de liberté, avec le choix de textes plus récents, plus recherchés.
A : Il y a aussi eu une volonté de mettre des poétesses dans la réédition, ce qu’on n’avait pas fait dans le projet initial.
Aujourd’hui, quel est le titre dont vous êtes le plus fier ?
F : Moi, je dirais « Première salle ». La veille de notre premier concert à la Boule noire, ma grand-mère est morte. L’année d’après, en concert on a enregistré la fin du refrain qui était « Ce matin, ma grand-mère est partie seule et ce soir on remplit cette foutue salle ensemble ». Je suis très fier de ce morceau parce que le premier couplet est très bien écrit, et j’aime ce que le morceau célèbre, le lien qu’il y a avec ma famille sur ce son. Ça crée un beau moment en concert. C’est des moments tristes où les gens chantent et sourient quand même. C’est un morceau très personnel mais aussi universel.
A : Pour moi, « Bref » parce que ce morceau arrive à un moment de notre développement où il se passe beaucoup de choses compliquées et on doit trouver un moyen d’avancer, de se réinventer. « Bref », c’est la première pierre de ce pari. On a su viser juste tout en faisant quelque chose qui nous faisait marrer, qui nous a fait kiffer.
Fin 2024, début 2025 vous étiez en tournée, vous êtes passé par Strasbourg, Lille, Marseille et d’autres villes encore. La tournée s’est achevée à Paris à la Cigale. Comment avez-vous vécu cette première tournée ensemble, la rencontre avec votre public ?
F : On s’est dit que c’était pas très sain (rires), que les humains ne devraient pas être exposés à autant d’attention et d’amour. À notre très modeste échelle, on a compris pourquoi Diam’s était partie en méga dépression après sa tournée de Zénith. C’était absolument génial, on a passé des moments exceptionnels, mais quand on rentre chez soi, quand ça fait un mois que c’est la colo, qu’il y a des gens qui gèrent tout pour toi, que tu n’as pas de charge mentale, c’est dur. Quand tu descends de scène, y’a des gens qui t’attendent pour te remercier puis tu rentres chez toi et il faut faire les courses, passer l’aspirateur (rires)… C’est comme de la drogue, tu as des montées qui sont exceptionnelles, mais après il y a une redescente. Mais sur la tournée en elle-même, on a pris un plaisir monstrueux, et on a hâte de recommencer.
A : Je rejoins Felhur. Il y a ce truc de charge mentale, et il y a aussi un impact physique. Le soir, t’as 200/300 personnes qui braillent et le lendemain, t’es chez toi et tu te dis « Mais je sers à rien ». Après la date en Belgique, il m’a fallu plusieurs jours pour me remettre parce que je me disais « Rien n’a de goût, rien n’a de sens » (rires).
Parlons un peu vidéo : votre dernier clip, « Mascu », est sorti il y a un mois. Comment s’est passée la création de ce clip ?
A : Déjà, c’était pas gagné (rires). C’était une idée de Felhur, qui avait la vision pour ce clip, mais 3 jours avant le tournage, on n’avait toujours pas le lieu (ndlr : le clip a été tourné dans une salle de sport). Grâce à un contact de contact, on trouve enfin la salle, on réalise le clip en une demi-journée avec une équipe restreinte le jour J (3/4 personnes), quelques lumières et deux caméras.
F : L’idée de base du clip, c’était de jouer sur une ambiguïté sexuelle et de piéger les mascu en mettant des images érotiques, pour finalement se rendre compte qu’il n’y a que des hommes dans ces images érotiques. Andro et moi, on fait beaucoup de sport ensemble, on fait de l’escalade, moi je fais beaucoup de yoga, donc on se retrouve parfois dans des poses qui ne sont pas forcément symboles de virilité. On s’est dit qu’il pouvait y avoir un jeu amusant à jouer sur les codes des mascu, en reprenant des codes esthétiques et en les détournant avec auto-dérision. C’est ce qu’on a fait aussi sur « Fier d’être français », avec le drapeau. On a débarqué le matin du tournage, on avait jeûné et on avait bu peu d’eau sur les 24 dernières heures pour être bien secs (on a suivi les conseils de Hugh Jackman pour Wolverine) (rires).
A : Sur l’écriture, on avait des idées mais c’est le moins « écrit » de nos clips . Je me souviens du moment où on se dit « Faudrait peut-être qu’on ait des idées précises » (rires). On avait quelques idées de mouvements, le réalisateur a donné des idées mais ça s’est vraiment fait sur le moment.
Sur Instagram, vous avez un canal intitulé « le défouloir »; vous lancez des sondages et vous faites des lives avec vos abonnés pour parler par exemple de ce que ça signifie d’être ‘Fier d’être français’, référence à l’un de vos titres. Pourquoi avoir choisi de créer ce canal, en quoi ça a de l’importance pour vous d’aborder ces questions avec les gens qui vous suivent ?
A : Ce canal va de pair avec les sons qu’on sort ; on a parlé de masculinité, on a parlé d’héritage, et de pas mal d’autres choses. C’est une façon de pousser la réflexion plus loin sur les sons, de réfléchir sur nos points de vue. Comme on donne nos avis dans les sons, c’est un moyen de débattre. Et ça nous fait marrer aussi !
F : L’idée du défouloir c’est aussi de se défouler, ça permet de constater qu’il y a un espace médiatique qui est blindé de certaines questions, de certaines problématiques qu’on a pas forcément envie de traiter. Il y a plein de gens qui ne se reconnaissent pas dans les sujets traités dans les médias et qui veulent exprimer d’autres choses. C’est aussi créer un espace où on peut parler librement, et où on ouvre la fenêtre d’Overton. Ca permet de déplacer le discours et pour nous, de nous rassurer à titre personnel sur le fait qu’on est pas seuls dans notre délire. Et aussi de dire aux gens qui se sentent concernés: « Vous n’êtes pas seuls et on peut s’écouter, échanger, ne pas être d’accord, sans avoir peur des répercussions ».
Dans votre morceau “Mal aux yeux” qu’on retrouve sur l’album « Ruptures », vous écriviez :
« Demain on se casse faire du son en Bretagne
Bosser « Ruptures » et le show de la Boule Noire
Mais on se vend au diable quelques semaines plus tard
Il y a du chemin pour plus être contradictoire »
Vous êtes attachés à votre indépendance, à votre liberté artistique. Est-ce que vous avez été approché récemment par des artistes, des labels avec qui vous avez refusé de travailler ?
Felhur x Andro : C’est arrivé récemment, on a eu ça sur le placement de produits, qu’on a toujours refusé. Même si parfois c’était tentant. On regardait nos finances et on se disait « Il y a un billet à prendre », mais on en a pas fait un seul. Sur les placements de produits, il n’y a pas mille agences non plus, et quand tu en refuses 3, 4, on imagine que les agences se passent le mot et il y a moins de propositions qui arrivent. Sur les relations pro, ça a posé problème quand on cherchait des contrats et qu’on travaillait avec des gens dont c’est le métier de négocier ces contrats, on nous disait « Vous fermez trop de portes par rapport au marché ». Après, c’est pas hyper fréquent, les gens connaissent notre positionnement.
À l’été 2025, vous avez sorti un morceau intitulé « Fier d’être français », qui a suscité de nombreuses réactions positives, mais aussi certaines négatives de la part de personnes de l’extrême-droite notamment, qui n’ont pas trop apprécié le morceau. À quoi ressemblent ces retours ?
F : Le son a été partagé par Bardella et Damien Rieu. Eric Ciotti aussi. Certains de leurs ‘sbires’ sont venus nous DM (il y a eu quelques menaces de mort) mais ça reste relativement calme comparé à ce que d’autres artistes peuvent recevoir en DMs. On a pu avoir accès aux DMs de gens qui ont plus ou moins de notoriété que nous mais qui sont racisés ou des femmes et c’est d’une autre violence et d’une autre fréquence ; clairement, c’est du harcèlement. Pour avoir vu ses DMs, je pense notamment à la violence des messages qu’a reçu Solann pour le morceau « Rome ». Donc on ne se plaint pas.
A : On savait aussi où on mettait les pieds. Et comparativement à ce qu’on pouvait attendre, ça a été. Quand on écoute les femmes, les personnes racisées sur les réseaux sociaux, on se rend bien compte que c’est tristement monnaie courante sur leurs comptes.
F : Après, l’autre truc qui m’a beaucoup surpris avec ce son, c’est la récurrence des attaques antisémites. Moi, je ne suis pas juif mais on m’a souvent dit que je pouvais passer pour juif. Ils ont trouvé une manière de nous raciser, parce que pour eux, ce n’était pas possible de se dire « ces mecs-là sont juste blancs ». Ils remettaient aussi en cause notre masculinité, en nous traitant ‘d’hommes soja’. C’est révélateur de l’idéologie qui se cache derrière le nationalisme, de ce que les gars pensent vraiment quand ils prétendent défendre la France.
Vous avez sorti tout récemment l’EP « Les Cendres », sur lequel on retrouve les sons « Mascu », et « Bref » dont on a parlé plus tôt. Une suite est à venir … Vous pouvez m’en dire plus ?
On peut dire que cet EP s’inscrit dans un triptyque d’EP. Quelque chose qu’on a instauré avec « Ruptures », qui nous tient à cœur et qu’on aimerait continuer à défendre, c’est la dimension littéraire des longs projets, la dimension narrative que peut avoir un album. « Les Cendres », c’est le premier chapitre, l’introduction. On a hâte d’en dire plus.
Est-ce que vous avez de la visibilité sur vos prochaines scènes ? On peut espérer vous voir en concert bientôt ?
A: On a des idées, rien de très précis pour le moment. On est dans un moment très décisif. On saura dans les prochaines semaines comment va se passer l’année 2026 pour nous.
F : Nous, on a qu’une envie, c’est de remonter sur scène. On aimerait beaucoup sortir du circuit, aller jouer dans des endroits inhabituels, aller jouer dans des tiers-lieux. Avec la menace qui pèse sur le budget de la culture alternative, sur les démarches citoyennes, on aimerait en plus de dates plus institutionnelles, tisser une cohérence entre la musique et les endroits où on joue.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
A : Des concerts ! Plein de concerts. D’aller rencontrer les gens, de pouvoir chanter avec eux. C’est le truc dont on a très envie tous les deux.
F : Un peu de stabilité aussi, parce qu’on est à une étape de notre développement qui nécessite énormément de travail et où en même temps, il y a plein d’incertitudes. On peut nous souhaiter d’arriver à toucher les gens avec la musique et qu’ils viennent en concert pour qu’on passe des bêtes de moments ensemble.
L’EP « Les cendres » est disponible sur toutes les plateformes de streaming.
Pour aller plus loin :
https://www.instagram.com/felhurandro/

