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Game Over : Le prix à payer

Avec l’interview Exclusive de Driver

Harlem, années 80. À même le trottoir, Azie Faison bâtit, à partir de quelques tonnes de poudre blanche, un véritable empire qui le propulse millionnaire. Icône de la rue, associé aux légendaires Rich Porter et Alpo, il devient une figure fantasmée, célébrée par le rap, le cinéma, et toute une génération fascinée par le mythe du hustler invincible. Mais derrière la légende, se cache une histoire de sang, de solitude et de trahisons. Paru en 2007 aux États-Unis, Game Over raconte cette histoire-là. Celle d’un homme qui revient d’entre les morts pour mettre fin à sa propre légende. En 2025, le livre est enfin traduit en français par les éditions Papermundi, avec une préface signée du mythique Driver. 

Pour l’occasion, 33 Carats Magazine consacre un dossier spécial à ce récit brutal et nécessaire, enrichi en fin d’article par un entretien exclusif avec Driver lui-même.

Focus sur le parcours d’un OG repenti, lucide, essentiel.

Le jeu est terminé

Tout commence par la fin. Plus précisément, tout commence par la mort. Les premières lignes de “Game Over”, glaçantes, bouleversantes, ne laissent aucune place à l’interprétation. Elles nous cognent au visage et nous ramènent de force à la réalité, celle qui se cache tant bien que mal derrière l’argent, les femmes et les grosses voitures. Neuf balles. Dont deux dans la tête, à bout portant. C’est ce qu’il aura fallu à Azie pour se rendre compte du prix à payer, beaucoup trop élevé, pour accéder aux sommets. Alors qu’il est amené aux urgences, agonisant, il entend les médecins décréter qu’il ne s’en sortira pas. C’est bien mal connaître Azie, qui finit par ressurgir des ténèbres. Miraculé, celui qui était devenu, au fil des années, l’une des figures les plus admirées et respectée de la voyoucratie américaine, a alors pris la décision salvatrice de quitter le monde impitoyable de l’illicite.


Il n’y était pas entré par hasard. Aîné d’une fratrie de sept enfants, Azie passe ses journées entre l’école, seul lieu où il lui est possible d’accéder à deux repas chauds par jour, et les rues pleines de vie de Harlem, qu’il chérit tout particulièrement. Ses nuits, il les passe sur le sol ou le canapé de l’appartement familial, celui-ci étant trop petit pour accueillir un autre lit que celui de ses parents. Azie grandit pauvre, très pauvre. Et ça, il en a pleinement conscience. Pire, la misère semble le marquer un peu plus dans sa chair, chaque fois qu’elle se rappelle à lui, elle le traumatise. C’est pourquoi, lorsque Faison se lance dans l’illicite à 19 ans, ce n’est pas seulement dans l’espoir de devenir riche, mais aussi et surtout pour enfin sortir de la pauvreté, se détacher des injustices et humiliations qui lui sont liées. Coûte que coûte.

Le monde, Chico. Et tout ce qu’il y a dedans.

Sans oublier, ce film, celui qui a tout lancé, en 1983. C’est en allant voir au cinéma le devenu culte “Scarface” que Azie vit une expérience qui bouleverse sa vie. Tout, dans l’oeuvre de Brian De Palma, attire ce gamin pauvre de Harlem à imiter le charismatique Tony Montana. Par un cruel hasard, peu de temps après, alors qu’il travaille pour une entreprise de nettoyage, Faison rencontre au cours d’une livraison Lulu, un dealer de coke qui lui fera vendre son premier sachet. Et les suivants. En lui précisant, aussi, que tant qu’il travaillerait pour lui, l’argent ne serait jamais plus un problème. Il n’en faut pas plus pour Azie qui se lance tête la première dans le business.

Les choses se passent bien, même mieux que prévu. Beaucoup mieux. Très rapidement, il n’est plus question de pouvoir payer le loyer mais de savoir dans quel nouveau bolide hors de prix investir. Avant même d’atteindre la majorité, Azie a déjà amassé plusieurs millions et tout ce qui va avec : le respect, la notoriété, le pouvoir. C’est assez pour l’aveugler parfaitement. Les contestations de son père, un homme intègre qu’il admirait pourtant, n’y changeront rien. Avec l’aide de ses associés Rich Porter et Alpo, Faison ensevelit NYC sous des tonnes de cocaïne tout en s’appliquant à annihiler scrupuleusement la concurrence. Il est doué, très doué. Et il avance vite, sans trop se préoccuper du danger. Ou des conséquences. 

En seulement cinq ans, Faison érige un véritable empire, qu’il pense intouchable, inébranlable. Pourtant, les signes annonciateurs d’une chute douloureuse ne manquaient pas et laissaient entrapercevoir ses fondations fragiles. Fatalement, comme pour Tony, c’est une rafale de balles qui s’occupera, en 1989, de mettre un terme à l’ascension fulgurante de Azie, ainsi qu’à la vie de sa meilleure amie et de sa tante.

Tristement célèbre

Au fil des années, Azie Faison, Rich Porter et Alpo, sont devenus de véritables icônes de la rue, immortalisées par des œuvres classiques comme le film “Paid In Full” (2002) ou le mythique documentaire “Game Over”, devenu une référence dans le milieu du documentaire indépendant. 

Quant au monde du rap, il les porte en légende depuis plus de quatre décennies. Des artistes comme Jay-Z, Pusha T, Rick Ross ou Gunna se sont attachés à shout out le trio infernal de Harlem dans plusieurs de leurs morceaux. La hype sans précédent qui entourait Aize et ses associés dépasse rapidement les frontières américaines. Pour arriver jusqu’en France, où le rappeur Ninho, plus de trente ans plus tard, sortira le morceau “Rich Porter” (2023), en signe d’hommage évident.

Une glorification assumée, qui, avec le temps, a fini par presque éclipser la réalité glaçante du témoignage d’origine. Car si l’épopée d’Azie, Rich et Alpo continue de fasciner, c’est aussi parce que leur récit, tel qu’il a été relayé par la culture pop, a souvent été vidé de sa substance tragique. Le public, hypnotisé par l’image du hustler devenu roi, a préféré le mythe au message. Non par ignorance, mais par goût du spectaculaire, là où l’ascension tragique et les rebondissements épiques captivent plus que la prise de conscience et la désillusion.

C’est précisément dans ce brutal rappel à la réalité que réside toute la force de “Game Over”. Sans concession, Azie Faison y renonce à la vanité comme à la colère. Il livre un récit en forme de mise à nu, une descente aux enfers racontée à rebours, avec une seule obsession : prévenir. Il parle de gloire, d’argent et de pouvoir, mais aussi et surtout de solitude, de trahisons, de sang et de vies volées. Il n’essaie ni de s’excuser ni de se racheter. Il alerte. Quitte à écorcher sa propre légende.

Destins croisés

Rien ne prédestinait le célèbre ancien gangster Azie Faison et l’écrivain Agyei Tyehimba à se rencontrer un jour. Pourtant, tous deux ont grandi dans le Harlem bouillonnant des sixties, à quelques rues l’un de l’autre. Mais, pendant que Azie usait ses jeans de seconde main sur les bancs d’une école publique délaissée par le système, Agyei excellait dans les meilleures écoles privées. Pendant que le premier, déscolarisé, se lançait dans le deal de cocaïne, le second recevait des trophées sportifs au lycée. Enfin, alors que Faison imposait avec sa toute puissance sur New-York, Tyehimba achevait sa maîtrise à l’université de Syracuse. Il faudra attendre 2002 pour que ces deux hommes, malgré tout ce qui les séparait, se rencontrent et pour qu’ensemble, ils décident d’écrire les mémoires bouleversantes de ce OG repenti : “Game Over”.

Pour sceller cette alliance inattendue, une urgence commune émerge rapidement : celle de parler à une jeunesse que plus personne ne semble atteindre. Dans les amphithéâtres de Manhattan où il enseigne, Agyei Tyehimba est le témoin direct de la désillusion politique de ses étudiants. Beaucoup sont noirs, latinos, et porteurs d’un profond désenchantement. Le système les a trahis. Les figures institutionnelles ne les inspirent plus. Les mots d’ordre traditionnels ne portent plus. Alors, pour espérer toucher ces jeunes, il fallait une voix qui vienne de l’intérieur, un relais, un passeur. Il l’a trouvé en Azie.

Fin ouverte

Dans Game Over, ce dernier ne se contente pas de raconter son parcours : il en fait matière à réflexion. Son récit est émaillé de prises de conscience, de regards critiques sur l’école publique, la police, la prison, les structures sociales qui l’ont mené là où il a fini. Son témoignage n’est pas seulement un retour sur le deal de cocaïne à grande échelle durant la War on Drugs, c’est un regard tranchant, lucide, sur les angles morts d’une Amérique qui fabrique ses propres tragédies.

Azie y interroge le déterminisme social, la violence systémique, le racisme, les injustices sociales et économiques. Et ce qu’Agyei articule avec rigueur militante, Azie le livre avec le poids de l’expérience. L’un incarne la pensée critique, l’autre le vécu brut. Ensemble, ils signent une œuvre double. Un livre politique sans slogan. Un livre social sans théorie plaquée. Un livre nécessaire, enfin, qui permet, plus de quarante ans plus tard, d’enfin observer ce système fantasmé de l’intérieur.

Tout a commencé par le bruit des balles. La véritable histoire, pourtant, commence après le silence. Celui qui raconte l’histoire d’un homme décidé à transformer sa résurrection en boussole pour la prochaine génération. Pour preuve, à chaque page, chaque ligne, de “Game Over”, Faison tend la main au gamin qu’il aurait pu être. Et à tous les autres.

Game Over

Entretien avec Driver

De Harlem aux pages du livre culte, le parcours d’Azie Faison, raconté et décortiqué en exclusivité par Driver.

S: Game Over paraît en 2007 aux États-Unis, et arrive en France en 2025, près de vingt ans plus tard. Comment percevez-vous aujourd’hui la portée de ce récit?

D : Clairement, ce récit a une portée universelle. On y retrouve des thèmes qui traversent les époques : l’amitié, la trahison, le rêve de s’en sortir, l’ascension sociale, parfois par tous les moyens. Ce sont des ressorts humains, puissants, qui parlent autant à la génération d’aujourd’hui qu’à celle de demain. C’est pour ça que cette histoire continue de résonner.

S: Pensez-vous que le message porté par Azie peut avoir la même résonance ici, de nos jours ?

D : Oui, carrément ! Je pense que le moment est idéal pour raconter cette histoire, ou d’autres du même genre. On est en plein dans l’âge d’or des podcasts, où les récits se multiplient et trouvent leur public. Les gens ont pris l’habitude d’écouter des histoires vraies, que ce soit en podcast ou en interview. Alors oui, je trouve que c’est le bon moment pour que cette histoire sorte, ici en France. Je pense que, maintenant, les gens sont prêts. Et surtout, le terrain a été préparé : par le film Paid in Full, qui en raconte une partie, et par le podcast culte “The Undersiders”, qui a consacré à Azie et ses deux acolytes deux épisodes. Et on voit de plus en plus d’ouvrages paraître, que ce soit sur l’histoire du hip-hop français ou américain.

S: C’est marrant, parce que l’œuvre de Azie évoque assez peu le sujet du hip hop, non ?

D : Oui, ce livre ne concerne pas directement de hip-hop, mais d’une histoire de rue, de gangstérisme à l’américaine, qui est, elle, étroitement liée à l’univers du rap. Et au-delà de l’histoire elle-même, il y a l’héritage culturel. Cette histoire a marqué le hip-hop, dans les paroles de nombreux grands rappeurs, dans les références cinématographiques, dans la mode. Elle a laissé une empreinte dans la culture.

S : Dans votre préface, vous évoquez la surprise d’un proche de Rich Porter en découvrant qu’un Français connaissait l’histoire de Faison. Qu’est-ce que cette anecdote raconte, selon vous, de la force de circulation d’un récit comme celui de Azie ?

D : Ce qui m’a frappé, dans les yeux de la personne que j’ai rencontrée à New York, un ancien membre de l’équipe d’Azie Faison, c’est son étonnement. Pour lui, à l’époque, ce qu’ils faisaient, même si c’était illégal, c’était une question de survie. Ils vivaient tant bien que mal dans une cité à New York et cherchaient juste à s’en sortir. Mais aujourd’hui, des années plus tard, leur histoire a fait le tour du monde… jusqu’en France. Quand, moi, un français, je lui ai révélé que je connaissais son histoire, et que je lui ai prouvé en lui citant trois anecdotes précises, entendues notamment dans le podcast The Undersiders, il n’en n’est pas revenu.

S : J’imagine ! Que son histoire ait traversé les States, c’est une chose, mais qu’elle débarque en France, ça doit être impossible à croire !

D : Bien sûr ! Et en même temps, il était conscient que ce qu’ils avaient fait était illégal et ne méritait pas d’être glorifié. Il ne se vantait pas, vous voyez ? Mais j’ai senti chez lui une vraie stupeur. Il avait du mal à croire que, sur un autre continent, quelqu’un connaisse son histoire et celle de son équipe. Et en même temps, ce n’est pas si surprenant, le récit de Faison touche à l’universel de par les thèmes qu’il aborde : l’ambition, la loyauté, la chute. Ce sont des sujets qui peuvent être compris par tous, partout et à toutes les époques. Ce livre parle à tout le monde parce qu’il est fait pour tout le monde. Pas besoin d’être un gangster pour entrer en empathie avec son auteur.

S : Justement, vous, comment l’avez-vous perçu, voire même ressenti, à l’époque ?

D : Je suis un grand fan du label Roc-A-Fella, le label de Jay-Z, Biggs et Damon Dash… À l’ancienne, dès qu’un disque de l’écurie sortait, je me ruais dessus pour l’acheter. Je crois même que j’ai encore quelques fringues Rocawear à la maison (rires) ! Bref, dès que c’était signé par ce label, j’étais au rendez-vous. Quand le film Paid in Full est sorti, j’ai directement capté deux choses importantes : la référence à la chanson éponyme d’Eric B. & Rakim et le nom des producteurs : Roc-A-Fella ! J’ai acheté le DVD sans hésiter.

S : C’est comme ça que vous avez découvert Azie Faison, Rich Porter et Alpo Martinez ?

D : Oui, même si dans le film, leurs noms ont été changés. Et j’ai adoré. Je l’ai regardé plusieurs fois. Et forcément, je me suis mis à creuser. J’ai découvert les vrais noms, les vrais visages, la vraie histoire derrière le mythe. Et elle m’a passionnée. Pendant des années, j’ai suivi ce récit, j’ai cherché à explorer tout ce que je pouvais trouver sur ces personnages.

S : Et puis un jour, vous vous retrouvez à Harlem à discuter avec un de ses anciens acolytes, c’est énorme ! 

D : Déjà, ça me paraissait fou. Mais le plus incroyable, c’est qu’aujourd’hui je me retrouve à adapter en français le livre d’un des acteurs principaux de cette histoire. Pour moi, on peut dire que réaliser la préface et éditer le livre, par le biais de ma structure Papermundi, c’est d’une certaine manière boucler la boucle. J’ai été passionné si longtemps par l’histoire de Azie… Et maintenant, c’est à moi de la transmettre !

S : Dans un paysage culturel où l’on parle encore trop peu des rapports de classe, de survie sociale, ou des mécanismes de domination raciale, comment un récit comme celui d’Azie Faison peut-il trouver sa place et faire entendre sa portée politique ?

D : Azie ne se contente pas de raconter son histoire personnelle. Dans ce livre, il aborde aussi le volet social, et parfois politique, de son parcours. Et même si les faits remontent à plus de 40 ans, les thématiques restent actuelles : aide sociale, rapports avec la police, politiques d’urbanisation… Le tout à travers l’œil d’un citoyen américain. Ce sont justement des dimensions que le film Paid in Full évoque à peine, mais que le livre, lui, met clairement en lumière.

S : Une version sombre et brutale du rêve américain…

D : C’est ça : réussir pour et par l’argent, quel qu’en soit le prix à payer. C’est ce choix que font Azie et ses deux amis dans Game Over, en grimpant jusqu’au sommet , par tous les moyens nécessaires. Et celui qu’ils ont trouvé, c’est le deal, la vente de drogue. Un chemin 100 % illégal, qui mène soit en prison, soit à l’hôpital, soit à la morgue. Avec un peu de chance, tu t’en sors. Mais souvent, tu y laisses ta vie.

S : C’est la réalité que nous raconte Azie dans “Game Over”, en ne laissant rien de côté, sans jamais rien glorifier, contrairement au récit populaire qui en a été fait !

D : C’est pour ça que je dis : attention à la lecture qu’on fait de cette histoire. Il ne faut pas idéaliser ce mode de vie. Il faut comprendre que c’est un récit de survie, pas un modèle à suivre. C’est là toute la nuance, et tout l’enjeu du message. Je pense qu’Azie Faison, en écrivant ce livre, veut transmettre un témoignage sans filtre : raconter ce qu’il a vécu, ce que son équipe a traversé, mais aussi montrer sans rien romantiser, que ce soit les conséquences, les drames ou les regrets. Il le dit clairement : il a eu de la chance d’en sortir vivant. Beaucoup d’autres ne l’ont pas eue. Au fond, le message est clair : prenez conscience. Comprenez le contexte. Ne copiez pas. Ne fantasmez pas. On vit dans un monde capitaliste où, si tu n’as pas d’argent, tu n’es pas considéré. C’est un fait. Mais ça ne veut pas dire que tous les moyens sont bons pour réussir.

S : Quel est le secret, alors ?

D : Le véritable enjeu, c’est de rester motivé pour s’en sortir, mais en respectant les règles du jeu. Parce que sinon, tu joues une partie perdue d’avance.

Interview par Sonia Abassi


Game Over : Ascension et rédemption d’un dealer de Harlem.

276 pages

Écrit par Azie Faison & Agyei Tyehimba

Préfacé par Driver

Édité par Papermundi

Sortie prévue le 1er juillet 2025

Édition classique et édition collector disponibles sur shop.papermundi.fr

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