Texte : Mathilde Nicot
Il y a des rencontres qui marquent durablement. Celle avec Ta-Nehisi Coates samedi dernier à l’Union de la Jeunesse Internationale, grâce aux Chichas de la Pensée, en fait partie.
Auteur majeur aux États-Unis, célébré en France, Coates n’est pas seulement un écrivain, il est une voix qui dérange, éclaire, secoue. Journaliste, essayiste, romancier, il consacre son œuvre à la question raciale et au combat contre la suprématie blanche. Le New York Times a écrit de son livre Entre le monde et moi qu’il est “aussi indispensable que l’eau ou l’air”. Une phrase qui résume bien l’urgence de sa pensée.
Respirer avec Coates : une rencontre des Chichas de la Pensée
Ta-Nehisi Coates était samedi dernier l’invité des Chichas de la Pensée, à l’Union de la Jeunesse Internationale (Barbès, 75018). Depuis quatre ans, le collectif a accueilli plus de deux cents intervenants, parmi eux Raoul Peck, Jean-Pascal Zadi, Alice Diop… Une scène intellectuelle bouillonnante où se croisent créateurs, penseurs et militants.

Pour les Chichas de la Pensée, Coates fait partie de ces écrivains qui, disent-ils, les font “respirer”. Une formule qui fait écho à son œuvre, traversée par la question du souffle : souffle coupé par l’oppression, souffle rendu par les mots.
Hip-hop et rage
Né à Baltimore en 1975, Ta-Nehisi Coates raconte avoir grandi dans une atmosphère où la violence et l’injustice étaient omniprésentes. Parmi ses premiers souvenirs, celui d’une visite en prison avec son père, ancien Black Panther, venu soutenir un ami accusé de meurtre. “Dans ma propre pratique de l’écriture, la colère est un sentiment essentiel”, confie-t-il. Une colère qu’il dit avoir d’abord ressentie dans la culture hip-hop. Mais lorsqu’il abandonne son rêve de carrière musicale pour se consacrer à l’écriture, cette rage se transforme :“Je ressentais la rage née du fait de ne pas voir d’écrivains noirs considérés comme publiables, et celle provoquée par les images que la télévision et le cinéma imposaient à notre réalité.”
Cette même colère ressurgit, lors de son voyage en mai 2023 en Palestine. Mais pour Coates, “la question est de contrôler cette rage, de la mélanger à d’autres émotions”. L’écriture devient alors le lieu où ce tumulte intérieur prend forme, se canalise et s’amplifie.
Le rap, école d’écriture
Pour comprendre Coates l’écrivain, il faut comprendre Coates l’auditeur. Et au centre de son panthéon personnel, une figure domine : le rappeur Rakim, considéré comme l’un des plus grands MCs de tous les temps. “L’écriture pour moi, c’est la densité. On cherche les mots qui contiennent le plus de puissance. À 11 ou 12 ans, c’est ce que je voulais faire. Je voulais être comme Rakim.”
Le rap n’a pas seulement nourri ses émotions, il a façonné sa manière même de construire une phrase, de chercher la précision et le rythme. L’auteur l’explique bien : “Je croyais que j’allais devenir poète, après avoir longtemps pensé que j’allais devenir rappeur, entre mes 18 et mes 20 ans.” Cette période l’a marqué durablement : le hip-hop est devenu sa première école d’écriture et une influence qui continue de guider sa plume aujourd’hui.

Il se souvient des battles du rappeur, de son sens tranchant du rythme, de son efficacité absolue. Il avoue même écouter Rakim dans le métro, encore aujourd’hui en allant à ses cours de français. “J’essaye d’atteindre ce niveau-là, mais je n’y suis pas encore, malgré les prix et la reconnaissance. Pour moi, Rakim est d’une profondeur insondable, l’un des écrivains les plus efficaces.”
Cette influence explique aussi la brièveté de ses livres. Chez Coates, chaque mot doit frapper comme une punchline. “Rakim dit : “Avant mon art, je suis un esclave.” C’est ça, la littérature. Une combinaison unique d’efficacité et de beauté.”
La musique, dit-il, nous marque à jamais à l’âge où l’on se forme. Aujourd’hui, à 50 ans, il écoute Kendrick Lamar, mais reconnaît que la musique ne le touche plus comme avant. “Il y a sûrement un équivalent de Rakim aujourd’hui, mais ce ne sont plus les artistes de ma génération.”
Coates vient de publier Le Message, un ouvrage puissant où il interroge la manière dont les récits façonnent nos réalités en arpentant trois lieux de conflits : Dakar, Columbia et la Palestine. Un livre qui prolonge son engagement littéraire et politique, et qui confirme l’importance de sa voix dans le débat actuel.

