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MAGIC ABU MARAHIL
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MAGIC ABU MARAHIL

piste d'athlétisme 33 carats

Il existe des événements voués à bouleverser complètement la face du monde. Comme il existe des hommes qui en marqueront l’Histoire. Parmi eux, se trouve l’athlète Majed Abu Marahil. Des rues de Gaza jusqu’au Stade Olympique du Centenaire d’Atlanta, le coureur se sera, durant toute sa carrière, attaché à renverser les obstacles injustement dressés sur sa route. Focus sur un sportif hors du commun forgé par un destin qui l’est tout autant.

L’air est anormalement chaud, presque irrespirable en cette matinée du 26 juillet 1996, à Atlanta. Il n’empêche pas les badauds, souriants et transpirants, de grouiller avec exaltation dans les rues de la capitale de l’État de Géorgie. Une effervescence comme la ville n’en n’a jamais connue s’est emparée d’elle. Aux rires frénétiques se mêlent des cris de joie entrecoupés de quelques murmures passionnés. Quelques jours plus tôt, les Jeux Olympiques ont débuté et avec eux les festivités qui leurs sont depuis toujours associées.

Des centaines de caméras débarquées des quatre coins de la planète s’amassent tout autour et à l’intérieur du Centennial Olympic Stadium, où ont lieu les épreuves sportives. Celles-ci s’enchaînent d’ailleurs depuis les premières heures du jour. Plongeon, natation synchronisée, water-polo… La discipline aquatique est d’abord mise à l’honneur. Mais c’est bientôt au tour de l’athlétisme de s’accaparer l’attention du monde entier. Et, plus précisément, l’une de ses épreuves mythiques : le 10 000 mètres.

Un intérêt qui n’est pas seulement dû à la dimension historique de l’épreuve. Ce jour-là, c’est un coureur qui attire les regards curieux et admiratifs du public. Une silhouette élancée, une figure souriante, une démarche assurée : Majed Abu Marahil fait son entrée sur la piste. Et dans la légende, par la même occasion. Sur son dossard s’affiche aux yeux de tous le nom du pays qu’il représente avec une fierté non dissimulée : Palestine. Le 26 juillet 1996, alors que le soleil, à son zénith, éclaire la pelouse du Stade Olympique du Centenaire dans un bref moment de félicité, Majed devient le premier sportif palestinien de l’Histoire à participer aux Jeux Olympiques.

Un destin à toute(s) épreuve(s)

Ça n’a pas été chose aisée. Né en 1963 dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans la bande de Gaza, son sort ne semblait pas être celui d’un athlète de haut niveau voué à briller aux yeux du public international. Et pourtant. D’abord intéressé par le football, il s’imagine parmi les joueurs de l’équipe nationale palestinienne. Un souhait qui ne se réalisera pas pour l’enfant. Dès son plus jeune âge, il est déplacé de force d’un camp à l’autre. À seulement 12 ans, l’école n’est plus une option, le sport encore moins. Le jeune palestinien travaille très tôt en tant qu’ouvrier dans des foyers israéliens. Pour y accéder, Majed doit tous les jours courir une vingtaine de kilomètres dans l’espoir de pouvoir attraper le bus qui le mènera jusqu’au check-point d’Erez. C’est durant ses courses effrénées que lui vient l’idée de se tourner vers l’athlétisme.

C’est décidé, le voilà qui s’entraîne avec détermination, sans l’aide de personne. Ses baskets en piteux état, sa Casio bon marché pour se chronométrer, il court jour après jour dans les rues de Gaza, parfois jusqu’à la plage d’Al Deira. Rien ne l’arrête, pas même la balle israélienne qui lui traverse le bras lors de la première Intifada en 1991. Rapidement, Majed devient une véritable célébrité, les gens le reconnaissent et l’arrêtent dans la rue. En 1995, le sportif participe au Festival de la Journée Olympique à Gaza, où il remporte la course de 8 kilomètres face à 500 athlètes. Il est félicité par le président de l’Autorité Nationale palestinienne et haut dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine : Yasser Arafat. C’est lui qui lui remet son prix.

Quelques mois plus tard, il se retrouve parmi les athlètes des Championnats Panarabes d’Athlétisme, non sans avoir d’abord été détenu plus de dix heures à la frontière égyptienne. Mais Majed arrive, à bout de force et de justesse, au Caire où a lieu la compétition. Il se positionne alors en dixième position. Qu’importe, il se qualifie tout de même pour les Jeux Olympiques, quelques mois plus tard aux États-Unis. Le résultat d’un travail acharné s’étalant sur plusieurs années du Comité Olympique Palestinien. 

La Palestine en étendard

Comme pour marquer sa prodigieuse destinée, Majed Abu Marahil est choisi pour être le premier porte-drapeau de la Palestine lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’Atlanta, le soir du 19 juillet 1996. La foule l’acclame et crie son nom. Devant leurs écrans, les téléspectateurs du monde entier restent médusés. Noir, blanc, vert et rouge. Les couleurs du drapeau palestinien sembleraient presque dicter son sens au vent. La rumeur raconte qu’il aurait été confié par Arafat lui-même. Elle est rapidement avérée et nourrit instantanément le récit populaire qui se construit autour de Majed. 

C’est une revendication poussée en chœur par une nation toute entière que fait entendre Majed en faisant flotter aussi haut que possible son drapeau. C’est évident, les espoirs qui reposent sur ses épaules sont loin de n’appartenir qu’au domaine du sport. Ils le transcendent entièrement. Ils sont patriotiques mais aussi et avant tout humains et, par conséquent, des plus symboliques. Par sa simple présence lors de ces Jeux de 1996, et, alors qu’elle défile sous les applaudissements chaleureux d’un public conquis, la délégation palestinienne semble offrir au monde son message : le pays qu’elle représente ne se laissera pas invisibiliser. Malgré les contraintes, malgré les injustices, malgré les interdits.

Jeux de chance persévérance

Quelques jours plus tard, lors de l’épreuve de fond du 10.000 mètres, Majed court de toutes ses forces, jusqu’à finir les pieds en sang, complètement à bout de souffle. Et même s’il enregistre le temps respectable de 34:40.50, il reste loin derrière l’Ethiopian Worku Bikila qui remporte la course et la médaille d’or. Pas de finale, pour Majed. Peu importe, il avait compris depuis bien longtemps qu’il n’aurait aucune chance de gagner face à ses adversaires surentraînés. Ce n’est pas pour cette raison qu’il voulait à tout prix participer à la compétition. L’athlète de 32 ans avait d’ailleurs, à de nombreuses reprises, prévenu les journalistes de ses véritables intentions : « Mon objectif n’est pas de remporter l’or mais de faire savoir au monde que la Palestine existe. »

Mission réussie pour Majed Abu Marahil, qui, après sa participation à l’événement en 1996, est devenu coach de l’équipe d’athlétisme du Comité Olympique Palestinien. Depuis, la Palestine a été de nombreuses fois représentée aux Jeux Olympiques. Comme en 2000 à Sydney ou en 2012 à Londres. Pour l’occasion, Majed entraîne deux sportifs de haut niveau qui parviennent à se qualifier à force de détermination : les coureurs Bahaa al-Farra et Woroud Sawalha. Toujours avec la même ferveur, toujours avec la même ténacité. Celles qui lui ont permis, lorsqu’il était enfant et une fois devenu adulte, d’atteindre ses rêves, prétendument inatteignables. 

Quelques décennies plus tard, le message de Majed Abu Marahil semble irrémédiablement résonner plus fort et intensément que jamais. À nous de tout faire pour que jamais il ne tombe dans l’oubli.

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